Les murs lui tiennent lieu de paravent et leur pérennité de métaphore. Depuis sa chambre d’enfant, ils « lui murmurent » à l’oreille des secrets. Peu à peu, leurs susurrements s’emparent d’elle avec une familiarité étrange. Avant même qu’elle ne devienne architecte, une sensation particulière la motive à créer des murs autrement. Sur sa toile, elle dresse à l’horizontale un fond transparent. À la spatule, elle hausse des parois vers le ciel. En posant ainsi l’étendue des possibles et les points cardinaux, elle semble introduire dans cet espace planifié la terre noire et l’air qu’elle fait circuler. Elle fait venir la pluie torrentielle et le vent dévastateur accumulant les traces déferlantes de bleu, de noir, de vert. Entre des rochers opaques que l’on pense avoir été autrefois unis, on aperçoit l’océan et le ciel dégradant leurs lumières dans des tonalités diaphanes bleu irisé, gris ou roses-camélia du Japon.
Des villes poussent au bord de mers étranges, une mélancolie poétique enveloppe leur superficie alors que dans des grottes alvéolées aux incisures suintantes, on croit découvrir des filières d’or et des minerais de rubis.
Dans l’enclos de ses murs, des jardins naissent suivant la trajectoire de ses gestes entrainés. Des jaunes de Naples, des noirs pour les tiges, comme pour dire qu’un jour elles s’en iront ailleurs, elles aussi. Le rouge garance signifiant leurs pétales rappellent la beauté de fragiles coquelicots. Des pans de murs métaphysiques séparent en deux un territoire abstrait par des fentes creusées comme des balafres.
Quelque chose à l’intérieur d’elle lui dicte de couvrir et d’effacer les traces déposées sur la toile comme pour instaurer les bienfaits de l’oubli.
Entre les interstices de ses murs imaginés les teintes sombres et les teintes solaires transparaissent avec ténacité. Elles harmonisent leurs présences et leurs tempéraments garantissent leur existence lacérée : « La disparition des choses très présentes dans le passé me touche », dit-elle.
Bien plus, cette disparition est au cœur de son œuvre. À travers les espaces qu’elle invente, elle cherche à s’approprier le temps qu’englobe la réalité dans toutes ses dimensions. Dans un texte de 1888 Gauguin exprime son idée sur ce chapitre en disant que pour que l’œuvre reste vivante il faut tirer un rideau sur le modèle et « peindre de mémoire » car seule « la sensation » et « l’intelligence de l’âme » survivent à « l’œil de l’amateur ». Deux œuvres radicales réalisées avec des cravates traduisent cet état d’esprit que Pascale Morelot-Palu éprouve violemment. L’artiste s’en prend au temps. Elle les assemblent pour que le soir elle défasse tout : « En laissant le temps passer, je gagne du temps ». Le syndrome de Pénélope c’est peut être ce moment de recul volontaire dans le temps qui échappe à son entourage parce qu’elle se soustrait au temps social et s’adonne à un temps absolu à travers l’action répétitive de l’assemblage, rappelant le tressage, la forme originaire de l’art. La réalité ne se montre que dans la mémoire et le passé est l’essence de nous-même, écrit Proust. Paradoxalement la série « La peau des murs » parle du présent. Comme une éponge elle s’imprègne de tout ce qui se passe autour d’elle. Un rouge brun apparaît, les jaunes sortis de tube aveuglent le regard effaçant à nouveau l’image. Le gris de payne devient un symbole presque.
Ses dernières toiles pulvérisent les murs. Leur chair est sanglante. Dans « Dispersion » la peinture imite l’écume de la mer incarnée dans le blanc de zinc. Ce qui lui a été cher et qui a disparu réapparaît et se réincarne dans la sensation que lui procure la couleur. L’affirmation de son style tient dans la restitution tangible et visuelle de ses tourments intimes à travers le langage secret des couleurs.