Témoignage d'Ileana Cornea

Critique d'art - Paris août 2015

"Pascale Morelot-Palu, la fascination des murs"

Témoins de la vie qui les frôlent, les murs portent des traces singulières. Léonard de Vinci s’inspire de leurs taches pour peindre des paysages, Brassaï découvre la beauté résiduelle des graffitis avec son objectif. Ernest Pignon Ernest épouse les aspérités des parois des villes laissant le temps accomplir son travail.

Les murs de Rome chargés de couches et de matière racontent la grande histoire, Pascale Morelot-Palu en est fascinée : « Je ne peins pas des murs parce que je suis architecte, je suis architecte parce que je peins des murs. » Son attention poétique à l’égard des murs fixe le noyau de la thématique de cette œuvre, ses étapes, ses séries. « Les torrents comme des murs », « L’âme des Murs », « Les murs sauvages », « les murs frontières », « Un souffle de mur ».

 

Elle peint avec l’émotion du peintre et les outils du maçon. Penchée sur la surface de sa toile posée à plat elle érige « des verticales côte à côte ».

Un mur absorbe sa nourriture, il boit, transpire, ternit, s’affaiblit et s’écroule. Quand l’ouvrier mécontent de sa paye glisse un œuf pourri dedans, la demeure de son commanditaire sent le soufre, elle est empoisonnée. Les murs, comme la mémoire, gardent, absorbent, enregistrent tout.

Peindre des murs, être à l’écoute des murs, passer à travers les murs, c’est l’irrépressible rêverie qui l’habite depuis toujours. Comme Proust qui, dans son huis-clos se laissa prendre par le pouvoir révélateur des odeurs, la petite fille à la santé fragile qu’elle a été signe un pacte autobiographique avec les murs aux frontières fantomatiques et flexibles de sa chambre d’enfant.

 

L’artiste les ouvre, les enduit, les cache. Le désir de verticalité soutient leurs armatures abstraites. Elle les couvre et redécouvre, laissant transparaître des lumières, des traits, des colères, des blessures. L’artiste crée avec ferveur, attisant des fièvres et des délires intimes. Les ombres se meuvent, ses clairs obscurs vacillent. D’un tableau à l’autre ils s’apaisent, se refroidissent mais ne s’éteignent pas. Son œuvre s’accomplit couche sur couche, tel le palimpseste de sa mémoire. En dessous, la couleur clignote, signale son impatience de s’embraser à nouveau. Ses toiles naissent les unes des autres provoquées par un même volcan.

 

Par-delà le mur, la nature, la lumière, la délivrance. « Le jardin maléfique » est flamboyant d’étrangeté. Ses jets sombres et brutaux esquissent les tiges des fleurs. La goutte rouge tombée d’un geste nerveux forme leur corole, le violet contredit leur gaité. La rapidité du geste précipite l’arrivée d’un drame. L’impertinence dynamique de la nature guette-t-elle la persévérance rationnelle du construit ?

 

Ses coquelicots sont solaires. La liberté de la nature serpentine trouble la verticalité de ses aspirations. Les jaunes et les rouges cernés de traits noirs rappellent la flore audacieuse de Joan Mitchell.

 

Chez Pascale Morelot-Palu deux gestes se font face. Celui qui aspire et celui qui se venge, celui qui pose, découvre, couvre, soigne, et l’autre, qui le contredit.

 

Dans « Un Souffle de mur » les deux gestes cohabitent. La lutte entre la force du chaos qui pulvérise et l’inlassable volonté de la verticale semble suspendue dans un équilibre métaphysique. Jacob et l’ange s’affrontent toujours, la volonté humaine et la force cosmique restent, surtout dans cette série, la grande question.